Docvale nous parle du RS style
Après notre voyage à Tokyo debut 2016, s’est imposé à moi la nécessité de développer mon bondage et mes cordes dans une voie plus personnelle. Les encouragements de Naka Akira et Riccardo Wildties, qui ont grandement influencé mes travaux ces dernières années, m’ont permis d’approfondir et faire évoluer mes recherches de shibari afin de commencer à développer un style de kinbaku qui me serait propre.
Bien évidemment, les choses ne se sont pas déroulées si facilement et les premiers mois ont été particulièrement difficiles. S’inspirer et/ou apprendre des cordes et du bondage des autres donne une ligne directrice et à ce moment-là tous les points de repères disparaissent. Il s’en est suivi un moment de passage à vide que je pourrais imager par le syndrome de la page blanche, et enfin une période de recherche d’un kinbaku essentiellement axée sur la perception de l’autre, qu’il faut maintenant conceptualiser afin d’évoquer ce qui définit le style de cordes de Ropesession.


Très attaché aux racines du bondage japonais avec des cordes depuis Ito Seiu jusqu’aux années 1980, tant au niveau des valeurs, de l’esthétique du shibari ou encore de la gestuelle, mon kinbaku vise à se réapproprier les travaux de nos prédécesseurs. Notre époque a vu le kinbaku évoluer très vite à tous les niveaux et ma volonté est à ma manière d’être garant de l’héritage des générations passées tout en y incluant ma vision des cordes et en l’adaptant à des partenaires occidentales.
Le kinbaku contemporain ayant beaucoup apporté en matière de sécurité, de manipulation du modèle, d’adaptation à l’anatomie et de communication dans les cordes. Il me semble donc intéressant d’utiliser les outils à disposition de notre génération pour revisiter les esthétiques des bondages de nos prédécesseurs et dont le travail influence beaucoup le mien.
Un exemple frappant, à mon sens, pourrait être dans la manipulation du corps du modèle. En effet, dans le kinbaku moderne nous utilisons tous des techniques de bondage qui permettent de moins solliciter et de préserver notre modèle, tout en essayant d’amoindrir les douleurs.
Mais qu’en serait-il si nous faisions consciemment le choix d’utiliser une manipulation issue d’un shibari plus « oldschool »? Cela pourrait-il créer une rupture émotionnelle intense? Quel impact psychologique pourrait ressortir de ce mode communication dans les cordes paraissant moins efficace techniquement ?
Un autre exemple marquant, dans un autre registre de bondage japonais avec des cordes, concerne l’esthétique. Il est arrivé à un certain stade, en observant mon travail de cordes, de trouver celui-ci profondément ennuyeux et sans caractère. J’ai regardé une fois encore vers le passé en me demandant pourquoi leur kinbaku me semblait plus vivant.


c’est alors que j’ai pris conscience que mon travail était devenu tellement «propre » qu’il en était devenu impersonnel et que ce qui donnait vie au kinbaku de nos prédécesseurs relevait de cet aspect un peu désordonné de leur cordes.
Plutôt que de me pencher en profondeur sur des concepts d’esthétiques que je ne pourrais jamais vraiment appréhender n’étant culturellement pas en mesure de les comprendre réellement, mon choix a été de m’imprégner de ces derniers dans le bondage japonais avec des cordes, et d’essayer de ressentir leur pratique du kinbaku selon mon propre feeling. Y a-t-il une perfection dans l’imperfection ? Quelle est l’importance de l’instant présent sur ce qui est partagé à deux dans les cordes, pour ce qui est vécu par les observateurs ? Cela a-t-il un impact émotionnel sur ma partenaire durant nos sessions de shibari, et si oui, lequel et dans quelle mesure ?
Dans cette continuité, je me suis demandé pourquoi certains photographes japonais spécialisés dans le kinbaku prenaient beaucoup de photos avec des positions de shibari qui au premier abord semblaient identiques. Pourquoi ce choix ? Y a-t-il une évolution, une progressivité entre chacun des clichés ? Quel signification se cachait derrière tout ça, sachant que les Japonais font rarement les choses au hasard ?
Par la suite, après que ma compagne m’ait offert un bonzaï et quelques ouvrages les concernant, j’ai entre-aperçu des similitudes entre mon travail de shibari et ces arbres. Comparativement à une session de cordes, le bonzaï semble totalement intemporel, mais prenant le temps de m’occuper de celui-ci, j’ai pris conscience de l’importance de son architecture dans la volonté d’obtenir une certaine harmonie.
En observant un bonzaï , je me suis interrogé sur ce qui pouvait créer l’harmonie : L’esthétique évidemment, mais aussi ce qui s’en dégage émotionnellement, et derrière tout cela, la technique nécessaire à obtenir cette arbre intemporel et pourtant si vivant.
C’est ainsi que naturellement mon kinbaku s’est orienté vers une architecture à trois pans complémentaires que sont « asymétrie, espace et profondeur ». L’asymétrie représentant le non-conformisme, l’esthétique apportant le visuel des cordes et la profondeur représentant l’intensité émotionnelle et la vie.